Les hommes devraient-ils porter des jupes ? 

Photo credit/Mention de source: Tina Mokhtarnejad

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Jeanne Barataud

(EN) How come men never started wearing skirts? They have two legs like women, who adopted pants long ago. The fact that a man in a skirt is considered something ridiculous, raises deeper questions about gender distribution and masculinity. That many societies deem it shameful for men to adopt traditionally “female” clothing is a proof that gender equality has not yet been achieved. The difference between “male” and “female” clothing also reflects relations of domination in seduction. Consequently, a skirt is more than a piece of cloth. As the garment highlights unequal gender relations, it could become an instrument of change if men started wearing it.


Le passage du jupon au pantalon a été, plus qu’un changement de mode, une étape majeure de la construction de la femme moderne. Le pantalon est le symbole d’une vie active, de jambes plus hardies, libres de courir et de rouler à bicyclette pour aller au travail. C’est sans conteste une avancée significative pour l’égalité des genres : désormais, tout le monde peut porter la même chose. Mais puisque les femmes se sont mises à porter le pantalon, pourquoi les hommes, à leur tour, ne se sont-ils pas mis à porter la jupe ?  

Un homme en jupe, ça fait bizarre. C’est assez rare, et pour cause : un pantalon est beaucoup plus pratique. Si les femmes se sont mises à le porter, c’est bien parce que la jupe était trop encombrante. Longue, on a peur de la plisser, de la salir ou de lui marcher dessus. Courte, on doit s’assurer sans cesse qu’elle reste à sa place. Même le simple fait de s’asseoir devient compliqué : on la retient pour éviter qu’elle remonte et surtout, on croise les jambes. Si on doit se mettre à courir, c’est fichu. En somme, il n’y a tout simplement aucun intérêt pour les hommes à adopter la jupe. L’histoire a préféré le pantalon pour les deux sexes, dans l’intérêt de chacun. Et si les femmes continuent parfois d’être en jupe, c’est tout simplement dû à un héritage historique qu’il serait absurde d’effacer. 

On serait tenté d’en rester là, mais non seulement cet article serait un peu court, ce serait aussi prétendre naïvement que dans nos sociétés la manière dont on s’habille n’a aucune signification. Qu’on le veuille ou non, les vêtements ne sont pas de simples morceaux de tissus choisis uniquement pour leur qualité pratique : ce sont aussi des signes qui renvoient des images, des indices sur notre classe sociale et sur notre genre. Ce n’est pas sans raison que beaucoup d’employés ne portent pas les mêmes vêtements au travail et en week-end. Choisir ses habits, c’est adopter plus ou moins consciemment tel ou tel code social ; c’est projeter une image de soi.

Cela étant dit, quelle image a-t-on d’un homme en jupe ? « Travesti », « anarchiste », « marginal », « homosexuel ». En somme, pas celle d’un « vrai » homme, qui suit les normes. Porter des vêtements de femme, c’est compromettre sa virilité. Comme si, en enfilant une jupe, on avait soudain peur que les seins poussent et que les barbes disparaissent. Or, lorsqu’on y réfléchit, le corps masculin s’adapte tout aussi bien au port de la jupe. Donc, le problème ne vient ni du physique, ni de la forme du tissu, mais de ce qu’il représente. Que les hommes ne portent typiquement pas de jupe montre que même s’il n’est plus dérangeant pour les femmes d’adopter des codes masculins, il est encore problématique pour les hommes d’adopter des codes féminins. C’est là que réside le réel problème.  

On a parfois l’impression que les genres ont été construits comme des opposés binaires : le masculin contre le féminin, le bleu contre le rose, les activités extérieures contre celles du foyer, la force contre la sensibilité, le pantalon contre la jupe. Aujourd’hui, nombre de ces oppositions sont dépassées. Le problème, c’est que dans une certaine mesure, elles le sont plus pour les femmes que pour les hommes. Les femmes peuvent être fortes et indépendantes, elles peuvent se défendre contre celles et ceux les accusant de ne pas être assez « féminines ». Mais dès que l’on aborde la virilité, la pression sociale est beaucoup plus brutale. En anglais, « not being a pussy » peut être l’équivalent de « ne pas se battre comme une fille ». Autrement dit, il y a quelque chose de honteux et de rabaissant d’être comparé à une femme. Les genres ne sont donc pas considérés de manière égale et la société est toujours dominée par les codes d’un « premier sexe » (Simone de Beauvoir, 1949). Le refus des hommes de porter la jupe en est un symbole important. 

Pour certains, si la jupe reste typiquement féminine, c’est aussi qu’elle est plus « sexy » ; lorsqu’elle est courte, elle laisse voir des jambes nues. Avant tout, il faut rappeler que les femmes ne s’habillent pour plaire ni aux hommes ni à quiconque, et qu’une femme en jupe ne cherche pas forcément à séduire. De plus, pourquoi serait-ce uniquement aux femmes de montrer les formes de leurs corps pour être sexy ?  

Être sexy, c’est montrer que son corps est désirable. Or, le corps féminin est beaucoup plus ouvertement sexualisé que celui des hommes. Pour séduire, ces derniers n’ont pas à enfiler de minijupes, de talons hauts ou de décolletés plongeants. Pourtant, ils ont des fesses, des pommes d’Adam, des épaules, des bras, des mains, des oreilles, des cous, des mollets, des cuisses… Leur corps est tout aussi sexuel et désirable que celui des femmes. Il gagnerait à être plus dénudé et mieux mis en valeur, « pour le plaisir des yeux ». Mais s’habiller en conséquence serait inverser les rôles et accepter de se soumettre à un désir physique des femmes encore difficilement reconnu, car bien souvent une femme qui exprime trop ouvertement son attirance pour le corps des hommes et qui cherche de manière trop évidente des rapports sexuels est soumise au « slut-shaming ». Que les hommes ne ressentent pas le besoin de montrer que leur corps est désirable témoigne que le désir des femmes est moins pris en compte que celui des hommes. Cela reflète une inégalité et un rapport de domination dans les rapports de séduction assez déplorable.   

Beaucoup de préjugés et de stéréotypes se cachent donc derrière nos habits et leurs manières d’exposer les corps. Si l’on n’y pense pas en les enfilant, ils n’en expriment pas moins des rapports sociaux inégaux entre les hommes et les femmes. Bien que se travestir n’est aujourd’hui plus passible d’une peine de prison, déranger les attitudes genrées bien établies, et notamment une certaine vision de la virilité, reste toujours problématique. Alors, pour résoudre ce problème, faudrait-il forcer les hommes à porter des jupes ? Évidemment que non, et ce n’est pas la conclusion de cet article. Il y a d’ailleurs des questions bien plus urgentes à régler que celle des jupes et des pantalons : l’inégalité salariale, les violences conjugales ou les féminicides n’en sont que quelques exemples. En revanche, s’il arrive un jour que les hommes se mettent à porter des jupes, cela démontrera un changement profond dans nos mentalités, un changement qui aura certainement un impact positif sur l’égalité des genres.  


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