Nul homme n’est une île : une dissertation sur le thème de la solitude dans Les Grandes Marées

Photo by Aude Lozano on UnsplashPhoto par Aude Lozano sur Unsplash

Photo by Aude Lozano on Unsplash

Photo par Aude Lozano sur Unsplash

Boris Kyrychenko

(EN) This article looks at the theme of solitude in the Jacque Poulin’s 1978 novel Spring Tides. It does so by exploring the relationships the novel’s protagonist—who is one of the most famous characters in Quebec literature—has with the people who live with him on an island in the St. Lawrence River.


Selon le Petit Robert, la solitude est « une situation d’une personne qui est seule (de façon momentanée ou durable) » ou « un lieu solitaire »[1] Dans le roman Les Grandes Marées, écrit par Jacques Poulin en 1978, on rencontre un homme qui est seul dans un lieu solitaire. C’est l’histoire d’un traducteur de bandes dessinées qui s’appelle Teddy Bear, un nom de code qui fait référence à son emploi. Il habite dans l’île Madame, une petite île près de l’île d’Orléans sur le fleuve Saint Laurent. À presque chaque grande marée, son patron lui amène une nouvelle personne loufoque avec l’espoir de diminuer sa solitude, mais Teddy se sent envahi par tous sauf Marie, la première visiteuse. Les Grandes Marées est une allégorie pour la vie en société et la façon dont les gens solitaires s’y comportent.  Cette dissertation va donc explorer le thème de la solitude dans ce roman.

Teddy est le personnage principal du roman. C’est donc lui le personnage le plus entouré par la solitude. Dès que nous sommes introduits à Teddy, nous découvrons qu’il est traducteur (un emploi solitaire) et qu’il « … avait toujours aimé les dictionnaires et les encyclopédies. Le Petit Robert, le gros Harrap’s, le Grand Larousse, le petit Littré, le gros Webster remplaçaient les amis qu’il n’avait pas. » (Poulin 18). Alors, toute sa vie, il n’avait ni amis ni autres relations sincères avec des gens, et à cause de cette isolation, il était attiré par les mots et la traduction. Il est aussi important de noter qu’on ne sait pas si cette situation était causée parce qu’il avait été ignoré, ou par son propre désire. Sauf son chat Matousalem, le seul personnage notable mentionné par Teddy est son frère Théo, qui voyage quelque part en Californie. Par conséquent, il n’existe que dans l’imagination de Teddy. Cela devient évident quand il imagine une conversation avec son frère pendant qu’il cuisine (Poulin 43). Teddy est donc un homme isolé de la société et démontre des caractéristiques d’une personnalité introvertie.        

Le lieu ou Teddy se trouve, l’île Madame, peut être interprété comme une métaphore pour la solitude de Teddy. La première phrase du roman, « Au commencement, il était seul dans l’île, » (Poulin 9) établit la scène d’un homme qui se trouve seul dans une île. Dans la littérature, une île représente souvent l’isolation et un monde clos qui peut être attractif pour des gens introvertis (Barrié 1). En outre, quand Teddy visite la maison du Sud, un bâtiment construit pour accueillir les naufragés, il découvre une affiche qui explique que « [ce lieu est] …pour que d’autres voyageurs en détresse puissent y trouver… » (Poulin 20). L’île est donc décrite comme un lieu pour des voyageurs naufragés et à cause de ce que nous savons à propos de la vie de Teddy avant son arrivé sur l’île, nous pouvons deviner qu’il était en détresse dans la vieille capitale et donc que quand il est arrivé dans l’île, il était comme un voyageur ‘naufragé’. On peut aussi trouver des caractéristiques similaires entre Teddy et l’île, par exemple quand Teddy mentionne que « sur une île, on est plus sensible à la présence des autres » (Poulin 43). Teddy est considéré comme un homme doux, donc il est aussi sensible à la présence des autres. Mais malgré tout cela, comme le poète anglais John Donne avait écrit en 1624, « nul homme n’est une île » (Donne 1) – c’est-à-dire ce n’est pas la nature humaine d’être isolé. C’est pour cela que les gens associent souvent la solitude avec la tristesse.  

Avec le thème de la solitude dans Les Grandes Marées, Poulin explore aussi la relation entre la solitude et le bonheur. Quand le patron discute sa décision d’amener Marie à l’île avec Teddy, il explique « Évidemment, je ne me prends pas pour Dieu le Père, et je ne me suis pas dit : “ Il n’est pas bon que l’homme soit seul ” ou quelque chose du genre, mais j’ai pensé que vous auriez plus de chances d’être heureux a deux. » (Poulin 57). Le patron n’est pas le seul membre de la société qui croit qu’il y a une relation directe entre la solitude et la tristesse. C’est une croyance commune et même la femme du patron, Tête Heureuse, l’exprime quand elle explique que Teddy n’est « …pas trop bien… Je fais de mon mieux et Marie aussi mais… » (Poulin 91). Par consequent, la quête pour le bonheur grâce à la solitude est compliquée. Au commencement, quand le patron lui demande ce qu’il lui faut pour être heureux, Teddy répond « une île déserte » (Poulin 14). Mais quand le patron lui repose la même question après son arrivé à l’île Madame, Teddy dit : « Écoutez, c’est une question difficile. Comment fait-on pour savoir si on est heureux ou non? » (Poulin 96).

Ironiquement, malgré les meilleurs efforts du patron à remonter le moral de Teddy en réduisant sa solitude, plus il envoie du nouveau monde sur l’île, plus Teddy se sent solitaire. On en trouve un indice vers la fin du roman dans un des rêves que fait Teddy après une discussion sur la profondeur de l’inconscient humain avec l’Homme Ordinaire : « Il [Teddy] avait rêvé qu’il se trouvait à la prison d’Alcatraz avec son frère Théo, que toute la baie de San Francisco était couverte de brume et que son frère s’occupait des oiseaux et ressemblait à Burt Lancaster. » (Poulin 146) Ici Poulin établit un rapport intertextuel avec l’acteur Burt Lancaster, qui jouait dans le film Birdman of Alcatraz le rôle d’un prisonnier qui adorait ces animaux[2] et vivait en solitude. Lorsque Teddy rêvait d’avoir été emprisonné, il rêvait d’une île, qui symbolise souvent le désire de se séparer et de se sentir seul et perdu (Marin 1). Finalement, vers la fin du roman, après le départ de Marie quand l’île Madame devient pleine d’insulaires étranges, Teddy se sent beaucoup plus solitaire qu’auparavant. « Dérangé par les visiteurs, Teddy se réfugia sur la grève. Il prit l’habitude de s’installer dans une anfractuosité de rocher où il était au soleil et à l’abri du vent frais. » (Poulin 203).

En explorant le thème de la solitude dans Les Grandes Marées, Jacques Poulin démontre certaines attitudes complexes qui existent envers la solitude grâce au personnage de Teddy, qui se trouve solitaire, mais pas nécessairement triste. La solitude est un sentiment universel, donc les émotions que ressent Teddy dans les années 1970 sont encore pertinentes, particulièrement aujourd’hui. Durant ces temps étranges dans le monde, il est important de se rappeler que la solitude n’est pas toujours une situation triste, mais qu’elle est parfois nécessaire pour la réflexion et pour se protéger, particulièrement la santé de l’esprit.


Previous
Previous

Sisyphus in Love

Next
Next

Taking a Glance at the Yonge-Church Corridor Neighborhood Profile