La libération et la répression des femmes et des francophones minoritaires dans « Pas Pire » et « Sex, lies et les Franco-Manitobains »

reno-laithienne-F_QttqcsqNo-unsplash.jpg

Photo by Reno Laithienne on Unsplash

Photo par Reno Laithienne sur Unsplash

Christina McCallum

(EN) Discussing the novel Pas Pire by France Daigle and the play Sex, lies et les Franco-Manitobains by Marc Prescott, this essay argues that both authors use a female protagonist to represent the minority francophone community in a particular region of Canada.

Daigle shows her female characters as open to change, despite any initial hesitations, and therefore reveals the possibility for the francophone community of New Brunswick to understand their identity in relation to the rest of the world.

Prescott, on the other hand, depicts his female character as close-minded and unable to change until the arrival of two male robbers. In so doing, he utilizes gendered power dynamics to criticize the francophone community of Manitoba that she represents.

This literary analysis discusses the ways in which female agency is used to liberate or confine not only the women of the texts, but also the minority francophone communities in Canada that have been historically marginalized.


Dans le roman Pas Pire de France Daigle, et la pièce Sex, lies et Les Franco-Manitobains de Marc Prescott, la population minoritaire francophone est représentée par un personnage féminin qui est fermé d’esprit et craintif du monde extérieur de sa communauté. Steppette, ou France Daigle, dans Pas Pire est une auteure Acadienne et agoraphobe qui doit surmonter sa peur de voyager à Paris afin d'être interviewée ; Elle, ou Nicole Tremblay, dans Sex, lies est enseignante et catholique Franco-Manitobain qui rencontre les cambrioleurs de sa maison, Lui et Him. Dans les deux cas, les femmes sont des personnages fermés qui deviennent libérées, permettant ainsi au lecteur de voir comment la communauté francophone peut être libérée avec l’accueil des autres. Les deux textes contiennent des moments de libération et de répression des personnages féminins, et par conséquent des francophones minoritaires. Cependant, la manière dont les auteurs décrivent les femmes libérées à la fin de leurs textes peut être interprétée comme progressive dans Pas Pire, et régressive dans Sex, lies. Cette divergence est démontrée par le cadre et la structure des deux textes, qui reflète la capacité ou l’incapacité des personnages à progresser: en effet, le déroulement fluide de Pas Pire autour du monde contraste avec le déroulement statique de Sex, lies dans une seule maison. De plus, la façon dont les femmes fermées sont caractérisées contribue à la différence entre les textes. Daigle utilise la réalité des névroses phobiques pour souligner la position inférieure des femmes dans la société, tandis que Prescott décrit Elle d’une manière qui contribue à la sexualisation des femmes. En outre, même si la langue peut être interprétée comme outil de libération dans les deux textes, cette fonction est plus présente dans Pas Pire, car Elle est soumise à la violence de la langue sexuelle constante des cambrioleurs. En considérant l’autonomie féminine qui est abondante dans Pas Pire et limitée dans Sex, lies, on peut analyser la manière dont les deux textes suggèrent l’émancipation des gens francophones minoritaires.

La première façon dont l’autonomie des femmes peut être observée dans Pas Pire est dans le cadre du roman qui permet les personnages de voyager autour du monde, ainsi que la structure non-linéaire du texte. Même si le personnage principal est agoraphobe, le roman utilise des images fluides, comme les deltas, afin de suggérer la possibilité de changement ou de mouvement. Les digressions dans le roman, comme les parties qui discutent l’astrologie ou la mythologie, ont un effet d’interruption, ce qui fragmente la structure du texte (Kirouac Massicotte). Cette technique postmoderne permet une multiplicité de perspectives dans le roman, ainsi qu’une négociation continue de l’identité acadienne à plusieurs niveaux. Subséquemment, on peut observer que, même si le roman est basé à Moncton, les trois fils de l’intrigue décrivent des personnages mobiles : Daigle voyage à Paris, Hans et Elizabeth voyagent autour du monde, et Carmen et Terry décident entre les destinations de la Louisiane ou de la France. Ce cadre dynamique reflète le but de l’auteur d’ouvrir l’Acadie au monde entier, et le voyage constant des personnages donne de l’autonomie aux femmes dans ce texte. Par exemple, pendant que Hans et Élizabeth se préparent pour leur voyage, on apprend que « Hans sait depuis quelques jours que le départ d’Élizabeth est imminent » (161). Ensuite, quand Carmen dit à Terry qu’ils doivent voyager, elle évoque l’idée que les possibilités sont interminables : « [on peut voyager aussi] longtemps qu’on pourra.… On sait jamais, peut-être qu’on voudra pas s’en venir » (169). La possibilité de voyager permet à Élizabeth et Carmen de décider leurs propres destins, avec ou sans Hans et Terry. Dans les deux cas, le cadre ouvert du roman donne l’autorisation aux personnages d’être libre. Il est donc évident que la structure et le cadre fluides contribuent à l’atmosphère dynamique créée par Daigle, donnant ainsi aux femmes la capacité d’action et de prise de décision.

En contraste avec le roman de Daigle, la pièce de Prescott se passe exclusivement dans la maison d’Elle. Lui et Him entrent sans permission, et leurs rôles comme cambrioleurs leur donnent une connotation violente dès le début. Cette violence est renforcée par la relation entre voleur et volée, car le monde d’Elle est pénétré sans consentement par Lui et Him. Ainsi, le cadre du texte établit un environnement dans lequel il existe une hiérarchie de pouvoir entre les personnages ; ceci est évident dans le fait qu’Elle proteste contre les deux cambrioleurs tout au long du texte, mais ses protestations ne sont jamais efficaces. Par exemple, au début, Elle dit à Lui, « Vous n’avez pas le droit de sacrer dans ma maison », à quoi il répond, « Ah fuck, you gotta be kidding ! » (23). Dans ce cas, Lui ignore ouvertement ce qu’Elle demande ; même si l’intention possible de ce moment est la comédie, la négligence des souhaites d’Elle contribue à l’idée que les actions de la pièce se passent sans son consentement. L’action d’ignorer Elle est persistante, et dans l’Acte 2, la scène de la traduction de son journal commence de cette façon :

« ELLE – No ! It’s personal. Please ! I’m begging. It’s not even any good.

HIM – I’ll be the judge of that. (Il ouvre le journal devant Lui.) Here. You translate.

ELLE – No ! » (70-71)

Même si la scène de traduction qui suit comprend un instant de gentillesse de la part de Lui, dans laquelle il cache le vrai contenu du journal, l’acte de traduction lui-même tire son origine de la violence contre les demandes d’Elle. Cette citation montre la répétition du mot « no », et le manque de puissance de ce mot. Compte tenu de la représentation d’Elle en tant que communauté franco-manitobain traditionnelle, le mauvais traitement d’Elle peut être interprété comme une représentation de la négligence des valeurs de cette communauté. Il est donc évident que le cadre statique de la pièce, dans lequel la femme n’est jamais entendue, représente l’incapacité d’Elle, et ainsi des Franco-Manitobains, d’être vraiment libérée de la répression à laquelle ils sont soumis.

Un autre aspect des personnages féminins qui démontre le caractère progressiste de Pas Pire et conservateur de Sex, lies est la caractérisation de ces femmes comme fermées d’esprit. Le texte de Daigle utilise l’agoraphobie de la narratrice pour représenter la culture acadienne qui a peur d’être exposée au reste du monde. Néanmoins, il est répété plusieurs fois dans le roman que les femmes sont plus affectées de cette maladie que les hommes. Par exemple, quand Daigle explique à son amie, Marie, qu’elle a peur d’aller chercher de l’eau en bas de la rue, elle demande, « Crois-tu, toi, qu’un homme se ferait souffrir à ce point-là pour de l’eau ? » (77). Cette question est la preuve que la narratrice pense aux inégalités entre les sexes, et encourage le lecteur à y penser aussi. Une observation à la page suivante renforce cette réflexion : « les femmes… sont plus enclines à présenter des névroses phobiques que les hommes, possiblement parce que la place qui leur revient dans la société les y prédispose » (78). Il est évident, alors, que Daigle utilise un personnage féminin agoraphobe non seulement pour faire un commentaire sur la culture acadienne qui craint le monde extérieur, mais aussi pour montrer la manière dont le monde incite les femmes aux maladies nerveuses. Cet argument est observé avec les mots, « la place qui leur revient dans la société », qui suggère un manque de pouvoir des femmes, provoquant ainsi des états d’angoisse. Ainsi, on peut conclure que Daigle utilise l’agoraphobie comme point de départ afin d’observer la manière dont les femmes peuvent atteindre une certaine libération, et par conséquent comment les Acadiens peuvent être valorisés.

La description féministe du personnage dans Pas Pire est contrastée par la caractérisation d’Elle dans la pièce de Prescott. Elle est décrite comme conservatrice, particulièrement dans ses réponses aux avances sexuelles de Lui ; quand Lui demande, « Pourquoi que tu veux pas parler de sexe ? », Elle répond en disant, « C’est Noël. Le monde normal ne parle pas de ça, comme ça, jamais. Surtout pas à Noël » (51). Il est évident dans ces phrases qu’Elle est fermée au point où elle pense que « le monde normal » ne parle « jamais » de sexe. Son insistance à éviter ce sujet à Noël souligne le milieu religieux d’où elle provient. Plus tard dans le texte, quand Elle devient plus ouverte sous l’influence de Lui, elle dit, « Je suis vierge », et justifie cette déclaration en disant que « Personne veut marier une slut » (85, 90). On peut voir dans ces phrases que l’idée de la fermeture d’Elle provoque soit la sexualisation, soit la désexualisation des femmes avec les mots « slut » et « vierge ». Ces deux concepts sont décrits succinctement par Deborah Tolman comme « the one-dimensional ‘slut/virgin’ divide », qui est « insufficient to account for alterations in gender norms and moral codes » (299). Autrement dit, ces deux mots restrictifs ne permettent pas l’autonomie sexuelle des femmes ; ils les coincent dans un « double-standard » qui est fondamentalement patriarcal (Prescott 90). En prenant cet objectif d’analyse en considération, on se demande si la caractérisation d’Elle comme vierge est nécessaire pour signifier une société conservatrice, et comment cette description peut s’avérer nuisible pour les femmes. Si Prescott décrit Elle dans une dichotomie si simple, il décrit les Franco-Manitobains qu’Elle représente d’une manière réductrice qui est basée sur des valeurs patriarcales.

Un dernier aspect des deux textes qui démontre la libération ou la répression des personnes marginalisées est l’utilisation de la langue comme outil d’émancipation ou de violence. Dans Pas Pire, les personnages acadiens remettent en cause leur langue quand ils se comparent aux francophones de France ; néanmoins, Daigle utilise l’écriture comme manière d’être fière de son identité. Un moment notable de cette source de fierté est l’indication que Daigle écrit son livre pour elle-même, et pour faire entendre sa voix. Elle dit, « Les mots ne demandaient qu’à sortir.… On m’écouterait enfin. Et ce serait comme une seconde naissance, tout aussi importante, sinon plus, que la première » (60). Dans cette citation, on peut voir que l’écriture est inévitable et naturelle pour Daigle. En disant que l’acte d’écrire lui permet « une seconde naissance », elle montre le rôle libérateur de la littérature comme outil de réincarnation pour les Acadiens qui se sentent figés. L’accent sur cette naissance comme « aussi importante, sinon plus, que la première » souligne la nécessité d’une quête d’identité pour la survie de sa culture. Ceci est renforcé à la fin du roman, dans l’entrevue avec Bernard Pivot, quand Daigle dit que l’œuvre d’Antonine Maillet « nous aide beaucoup à nous lire nous-mêmes, comme peuple » (179). Ces deux citations indiquent au lecteur que l’objectif de Daigle est de permettre aux Acadiens de trouver la valorisation de leur identité. Comme Maillet, Daigle veut créer une œuvre qui fait écho chez les francophones sous-représentés au Nouveau-Brunswick. Cette scène finie avec l’idée que « si la voyageuse est morte, le voyage, lui, continue », faisant encore une référence à la libération du voyage, mais dans le contexte de la langue et la littérature (181). On peut lire cette phrase en mettant l’accent sur le genre du nom « voyageuse », qui comprend non seulement Daigle elle-même, mais Maillet aussi, ainsi que Carmen, Élizabeth, et tous les autres Acadiennes qui dirigent cette quête d’identité. Par conséquent, on peut voir la manière dont la langue est un outil de l’émancipation pour le personnage féminin de Daigle, qui représente l’évolution de la culture acadienne depuis un état de fermeture jusqu’à une libération.

En contraste avec Pas Pire, la pièce de Prescott utilise la langue plutôt comme moyen de répression que de libération du personnage féminin. Même si Prescott plaide en faveur de bilinguisme comme outil de résistance pour les Franco-Manitobains, sa pièce est pleine de langage sexuel et violent contre le personnage d’Elle, et les femmes Franco-Manitobaines plus généralement. Parmi de nombreux exemples, ceci est illustré quand Lui invente une histoire à propos de leur situation, et il dit qu’Elle est « la trrrrrès SEXY princesse. (Un temps). Malheureusement, la princesse ne voulait pas parler au voleur parce qu’une mauvaise sorcière lui avait donné une potion magique pis la princesse, elle, elle a eu un genre de P.M.S. incroyable » (29). Les blagues créées par Prescott pour donner un ton léger à la pièce fonctionnent moins comme l’humour, et plutôt comme des moyens d’exprimer le sexisme manifeste. Dans ce cas, Lui justifie l’hostilité d’Elle avec « un genre de P.M.S. incroyable », suggérant que la colère d’Elle est le résultat de son corps et non de sa raison. Him n’est pas exclu de ce type de langage: en parlant des femmes de Saint-Boniface, Him dit, « you know how those Catholic chicks are. Hon-hon-hon…. Old enough to bleed, old enough to breed ». Lui suit cette ligne en disant « Old enough to pee, old enough for me » (66). Dans ces citations, les parallélismes entrent « bleed », « breed », et « pee », « me » montrent les fonctions corporelles des femmes comme indications de leur disponibilité sexuelle. Ce qui semble être le badinage entre deux hommes devient une façon dont les personnages masculins peuvent marginaliser les femmes d’une communauté déjà minoritaire. Elle, qui est une femme catholique de SaintBoniface, est réduite et sexualisée à travers l’implication de Him que toutes les femmes de ce quartier sont débauchées. Il est évident que le langage sexiste constant dans la pièce fonctionne comme outil de répression des femmes, ainsi montrant l’incapacité du personnage franco-manitobain d’avoir la vraie liberté face à cette violence.

La capacité, ou l’incapacité, des personnages principaux féminins d’être libre dans Pas Pire et Sex, lies et les Franco-Manitobains démontre la manière dont les auteurs décrivent l’ouverture d’esprit des francophones minoritaires. Après l’analyse des deux textes, on peut conclure que, tandis que Daigle offre une position progressive pour les femmes, Prescott fait perpétuer l’impuissance des femmes sous les actions et les mots violents des hommes. Le roman de Daigle utilise une structure et un cadre dynamique pour montrer la libération de voyager autour du monde, alors que la pièce de Prescott démontre un cadre statique dans lequel la femme ne peut pas s’enfuir de la force des hommes. Même si les deux personnages féminins sont décrits comme fermés – Daigle à travers de l’agoraphobie et Elle à travers un conservatisme – Pas Pire répète l’inégalité de cette fermeture parmi les sexes, tant que Sex, lies attribue cette fermeture à la sexualité inhibée d’Elle. Finalement, la langue, qui est un sujet récurrent dans les deux textes, est un outil de libération pour les femmes dans Pas Pire, et une façon d’imposer le sexisme dans Sex, lies. Ainsi, il est évident que Daigle propose la possibilité pour les Acadiens d’être fier de leur identité avec la compréhension de leur place dans le monde, alors que Prescott exprime une critique potentiellement problématique des croyances désuètes des Franco-Manitobains. Pour complément d’étude plus approfondie, on peut analyser la manière dont les deux auteurs décrivent les personnages féminins à la fin de leurs textes, et questionner si la libération des femmes donne aux œuvres une tonalité optimiste ou non. De plus, sous la perspective que le bilinguisme est outil de résistance pour les francophones dans Sex, lies, on peut se demander si cette interprétation justifie le langage dégradant envers les femmes. L’étude de la représentation des sexes dans les deux textes demande plusieurs pistes et perspectives ; cette dissertation n’est pas une analyse complète, mais une contribution au dialogue.


Previous
Previous

« Le Petit Prince » et « La République » — l’énigme du renard et son adversaire improbable

Next
Next

Sisyphus in Love